Le documentaire, document-VR… ?
On y arrive enfin, nous allons parler du documentaire. Je vais me permettre d’inclure le reportage dans cet article, même si ce dernier est censé plutôt « coller » à l’actualité, être un programme de flux (contrairement au docu qui est un programme de stock, souvent rediffusé) et posséder un « style de diffuseur » (soit le style de la chaîne TV) et non une patte d’auteur, car le documentaire est, ne l’oublions pas, une œuvre de création.

Les films VR se ramifient en quatre branches, et je mets volontairement la branche « vidéastes artistes » à part :
La fiction
Le documentaire
La communication
La formation
On peut constater que le doc/reportage se taille une belle part du gâteau en termes de productions. Le New York Times, par exemple, ne ménage pas ses efforts autour de cette technologie.
Utilité et pertinence
Les premières questions que je me pose au sujet d’un film en réalité virtuelle sont : la VR va-t-elle vraiment être une valeur ajoutée ? Est-elle pertinente par rapport à mon sujet ? Ne vais-je pas faire de la VR pour la VR ?
La première réponse que l’on se fait ou que l’on entend est : « en filmant à 360°, on immerge le spectateur, il voit tout, on ne peut rien lui cacher de la réalité ! ». Face à cette réponse, on ne peut qu’acquiescer, mais accordons-nous un temps de réflexion…
Pourquoi avancer l’aspect positif de l’immersion dans le doc ? L’empathie !! Les producteurs, diffuseurs, réalisateurs, pensent souvent que le film en VR crée beaucoup plus d’empathie que l’image « flat » d’un bon vieux documentaire TV ou Cinéma. Dans un précédent article, je notais que l’empathie, et tout le panel des émotions déclenché face à un documentaire, dépendait avant tout de l’implication personnelle du VRonaute par rapport au sujet abordé. Rappelez-vous que certains sujets ne vous intéressent pas du tout, que vous y soyez immergés ou pas. A ce propos, je vous propose de regarder un des meetings de Donald Trump pendant sa campagne présidentielle… Testez votre empathie !! Si vous ressentez une irrésistible envie de déménager pour les états-Unis, c’est que la VR-machine-empathique fonctionne ;)
Donc, la question serait plutôt : "la réalité virtuelle apporte-t-elle PLUS d’empathie qu'une vidéo "Flat" ?"
Pour répondre à cette question, je tenterai de m’appuyer sur ces deux critères :
Le choix du sujet (voir article), dont on vient de parler
Les contraintes de la VR par rapport au documentaire classique
La première des contraintes en réalité virtuelle est de perdre une partie du « regard » du réalisateur. En cinématique classique, le cadrage, le choix des images, le rythme du montage, personnalise et laisse une profonde empreinte de la « patte » de l’auteur. C’est grâce à cette patte créative que le réalisateur crée de fortes émotions chez l’utilisateur, ou pas, selon son talent.
En VR, cette perte du « point de vue » est compensée par l’immersion. Mais se retrouver au cœur de l’action implique, pour le VRonaute et comme dans toute nouvelle expérience, une gestion intellectuelle de l’environnement. Cette partie de notre mental, occupée à rechercher « l’information » utile au message du documentaire, ou à s’ébahir devant un « décor » surprenant, « déconcentre » notre part émotionnelle. Cette déconcentration est alourdie par la longueur des plans qui rendent le rythme du film plutôt lent.
« Oui, mais » me diront beaucoup d’entre vous… Se retrouver plongé au milieu de réfugiés, de rebelles à un régime totalitaire ou d’un troupeau de buffles en pleine migration, sont des expériences impossibles pour la plupart d’entre nous. Nous nous retrouvons presque à la place du reporter ou réalisateur et nous sommes plus témoins que spectateur. Et ce constat est vrai ! Cela crée-t-il plus d’empathie ? Pour ma part, et ce n’est que mon avis, je me sens pleinement disponible et beaucoup plus touché émotionnellement devant un documentaire ou reportage classique tourné par un bon réalisateur. Et je ressens une réelle empathie. Je pense que c’est le terme « empathie » qui est inapproprié. En VR, on vit une réelle et nouvelle expérience qui nous impacte, mais ce n’est pas toujours, ni nécessairement, de l’empathie...
Je reconnais malgré tout que le manque d’habitude de visionner des documentaires en VR est une variable importante dans cette équation. Le « tâtonnement » des réalisateurs en VR en est une seconde. Il se peut que je change d’avis dès qu’une œuvre de documentaire en réalité virtuelle digne de ce nom verra le jour et me convaincra de sa capacité à me toucher, plus que ne l’aurait fait une œuvre classique.
Et l’écriture… ?
On arrive à notre sujet de prédilection, l’écriture en réalité virtuelle ! Avec le documentaire, on tombe tout de suite sur une grosse différence avec la fiction… Le réel !! Que ce soit le reportage ou le « doc », ce sont des témoignages du réel qui sont censés nous rapporter l’information la plus juste possible, sinon cela s’appelle de la propagande.
Alors, comment écrire sur ce qui existe déjà, à contrario de la fiction où l'on créé ce qui n'existe pas ? Dans le monde du documentaire, quand on écrit avant le tournage, on s'occupe de l’angle de vue que l’on va prendre, le découpage que l’on va pratiquer, les rencontres que l’on espère, en bref, une sorte de « prévisionnel » du produit fini. On n'écrit pas un scénario au sens propre du terme. De plus, chaque type de documentaire a ses contraintes.
L’animalier dépend des comportements des sujets, des saisons, du climat et… des hommes (politique, obtention de visas, braconniers, industriels pollueurs, etc). Le reporter de guerre risque tout simplement sa vie et doit prendre parfois des rendez-vous avec des factions ennemies du pays où il se trouve. En contexte social ou politique, l’auteur essuie les refus de rencontres ou de réponses, dans le domaine de l’historique ce sont les archives et témoignages qui risquent de faire défaut, etc, etc.
Dans ces diverses situations, il devient impossible de placer des indices narratifs pour attirer le point d’attention et il ne reste guère que le son binaural. Une voix, un bruit, pourra toujours attirer le regard. Mais, il reste d’autres solutions…
Beaucoup de documentaires contiennent une part importante d’habillage destiné à la partie pédagogique de ceux-ci. On explique, via du graphisme animé et du texte, les problèmes géopolitiques tout autant que la diffusion d’un tremblement de terre depuis son épicentre. Grâce à ce type d’habillage « informatif », on peut recadrer l’attention de l’utilisateur, mais l’habillage ne s’arrête pas au graphisme. Il peut faire intervenir toutes sortes d’archives photo pour les placer dans un espace en trois dimensions, animer ces photos (ou dessins, peintures…) et les mélanger à des films d’archives. Ces films, souvent très vieux et de piètre qualité, s’insèrent beaucoup mieux en « vignettes » dans un décor reconstitué à 360°, que convertis à une échelle HD qui soulignerait trop de défauts. Pour mieux comprendre, visionnez les documentaires sur la bataille de Passchendaele.
Pour le moment, chaque réalisateur fera son choix : planter sa caméra à proximité de son « sujet » et filmer comme en cinématique « flat » ou, penser VR, prendre en compte l’environnement au-delà de l’humain (le décor, notamment), penser pédagogie de l’information via l’habillage et la reconstitution graphico-historique.
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